Courrier d'Outre Manche

Publié le par catymini

 
 

Il n’y aurait pas de rêve sans la réalité. La réalité, la vraie vie, ça peut devenir un rêve. Ne pas remettre au surlendemain ce qu’on peut faire demain. Dès demain, je vais croire à mon rêve. Celui de conduire une auto qui ne soit pas une voiture anodine, commune à en devenir d’une vulgarité hypocrite d'usine moderne, un robot aseptisé qui ne voit plus le mécanicien mais le technicien de laboratoire. Un engin dont le moteur s’entend, vibre d’un vrai bruit de moteur, quand dans les cylindres, les pistons poussent, que les gaz brûlés s’échappent. Tenir le volant, pousser les pédales, prendre la route comme on prend une valise pour s’en aller loin…Loin de la réalité des autoroutes urbaines et des caisses anonymes qui y circulent, avec licence. Prendre l’air dans un cabriolet comme on s’envole dans un coucou et pas dans un airbus. Parce que les sensations, les vibrations, la musique dans la tête sont tellement différentes de celles qu’on finit par ne plus avoir, blasés qu’on est de la banalité de se déplacer d’un endroit à un autre sans même rien voir, ni rien sentir de ce qui nous entoure. Pourtant que la route est belle, que les paysages qu’elle traverse loin des axes à péages sont généreux en découvertes, en couleurs et parfums. Qui n’a pas senti le bitume qui fond à la chaleur, la lavande au tournant d’une vieille pierre provençale, le foin fraîchement coupé après l’orage ne sent rien… Ne ressent rien… De même, mon rêve a une odeur. Une odeur de garage, mélange d’huile et de cire, de cuir poussiéreux.Comme ces vieux whiskys ont un goût âpre de vieillissement, mon anglaise à ce parfum… de fond de pot à tabac. Elle possède une allure simplissime, aucun superflu. Ses courbes enveloppantes comme un paletot et  fuyantes d'ailes d'oiseau sont ouvertes sur un habitacle en forme de baignoire à sabot. Son tableau de bord tremble autant que la caisse mais les aiguilles des cadrans sont vivantes pas de ces leds sans âme à message robotisé. Il faut tenir, agir, maîtriser les vitesses à levier…entendre le régime moteur qui monte dans les tours. Et même si elle est sensible à la rouille et sa capote pas des plus étanches, son châssis me transportera, une liqueur de jouvence pour carburant. Autre temps, nostalgie peut-être d’une époque dans laquelle je suis née. Si je me vois vieillir, elle me rajeunira. Mais pour cela, il ne faut plus attendre et céder à l’appel du rêve avant que les étoiles ne se dispersent et que le charme de la belle anglaise soit inatteignable.

 

Le matin, je démarre, été comme hiver. Le mélange air-essence est géré par un processeur. Le chauffage chauffe, le ventilateur souffle, les vitesses passent en douceur, la consommation est raisonnable, la tenue de route irréprochable. Je ne fréquente plus aucun mécanicien. J'ai annulé mon assurance dépannage. Bref je roule en automobile. Autrement dit, je m'emmerde.

Extrait de JP DUBOIS, Tous les matins je me lève, Laffont 1988

Publié dans Mes textes

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